Des « chalets d’Odeillo » aux villas de l’entre-deux-guerres

Les Chalets d’Odeillo

(aussi appelés « les Jardins de Font-Romeu » ou les « chalets de la Garden City »)

Dès 1903, des propriétaires aisés (industriels, horticulteurs, négociants, pharmacien, directeurs d’école) de Perpignan, Montpellier, Barcelone et Arcachon font bâtir des maisons individuelles (appelés les Chalets d’Odeillo) à l’architecture variée.

En 1910, ils fondent un « Syndicat d’initiative des Chalets d’Odeillo »* qui a pour vocation de faire connaître la nouvelle station climatique de Font-Romeu (1912).

Les chalets servent en premier lieu de résidence de villégiature pendant les mois d’été.

* La liste des membres actifs du syndicat pour les années 1909, 1910, 1911, 1912 et 1913 est reprise dans la publication du Centre de Recerques des Estudies Catalans, Font-Romeu, Odeillo, Via… fa temps (auteur Jean-Marie Rosenstein), Terra Nostra, 2009, p. 58-59.

Parmi les premiers chalets se trouvent notamment :

  • « La Jassette » et « L’Epirose » (propriétaire Jacques Calvet, maire de Font-Romeu de 1902 à 1912, date de construction 1903)  bâtis à l’emplacement de l’actuel supermarché ;
  • « Sainte-Lucie » (propriétaire Jean Bartre, 1904) ;
  • « Les Pins » (propriétaire Barthélémy Mercader) ;
  • « Le Labrador » (propriétaire Antoine Dumayne, pharmacien, résidant à Perpignan) ;
  • « Perce-Neige » (propriétaire Henri Sicart, architecte) ;
  • « Buena Vista » (propriétaire Octave Lencante, résidant à Mollet de Vallès, près de Barcelone, architecte Henri Sicart, 1907) ;
  • « Sans Souci » (propriétaire Jules Garré, résidant près de Barcelone)
  • « Les Marmots » (propriétaire André Leboeuf, résidant lui aussi près de Barcelone. Cette maison fut acquise par les Schwebel en 1919).
  • (Ces deux chalets existent toujours).
  • « Reynes », plus tard transformé en école publique. Cet édifice est toujours visible. Il est situé au-dessus de l’Office du Tourisme ;
  • « Stella »
  • « L’Aiglon »
  • « Le Saint-Hubert »
  • (Ces trois chalets se situaient dans l’actuelle rue principale)

Le Grand Hôtel

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Vues du Grand Hôtel depuis le tournant de la Chaumière

  • Image
    Au centre de l’image : le champ de l’école. Le bâtiment au premier plan a été construit pour loger les ouvriers du Grand Hôtel. Il est tenu par Marguerite Ribeil-Reynes qui fera plus tard construire l’Hôtel Regina au même endroit

La Villa Saint-Paul

  • Villa Saint-Paul : ce très beau bâtiment, qui a fait l’objet de nombreux remaniements, associe Art nouveau (structures métalliques, courbure du toit du fronton) et Art déco (notamment ouvertures du haut). En 1926, elle abrite une pension de famille-hôtel. Toutefois, sa construction est antérieure comme en témoigne une carte postale datée de 1915 sur laquelle on aperçoit l’édifice. Noter la chapelle, qui a servi d’église au village pendant quelque temps (avant la construction de l’église de Font-Romeu). C’est très probablement à la Villa Saint-Paul qu’eut lieu, en août 1932,  le « Congrès de Font-Romeu » qui allait donner naissance à la célèbre revue Esprit.

Construite sur les plans de l’architecte Henri Sicart, la Villa Saint-Paul est la propriété de Madame Jacoupy. Une annonce datée de 1928 la décrit ainsi:

« Hôtel de tout premier ordre, ouvert toute l’année, la Villa Saint-Paul, que dirige Madame Jacoupy, se trouve à proximité du Grand Hôtel, de l’Ermitage et de la Chapelle Rustique dédiée à Notre-Dame de Font-Romeu. Entièrement remis à neuf, cet hôtel comporte 80 chambres merveilleusement embellies, avec balcons et galeries particulières, des chambres avec salles de bains. Patout l’eau courante chaude et froide, ainsi que le chauffage central. Une chapelle privée et un Institut Secondaire sont attachés à la maison et des cours d’enseignement secondaires y sont donnés par des professeurs licenciés ».

Sur la carte postale ci-dessous, on distingue entre autres :

  • au premier plan, en bas, à droite : le magasin de « Fruits, Légumes, Primeurs » et le poste de gendarmerie (16 juillet 1929).
  • la Villa Saint-Paul. En contrebas, la petite  la maison du gardien (« Le Petit Coloma ») de la villa des Gracy visible dans l’alignement des poteaux du premier plan. Derrière la villa des Gracy, la villa « La Tierruca ».

Les villas de l’entre-deux-guerres

Ces résidences secondaires s’adressent à une clientèle bourgeoise qui cherche à faire la démonstration de son aisance financière par le recours à un style architectural marqué, parfois confié à un architecte de renom (notamment Edouard Mas Chancel, Henri Sicart ou, plus tard, Ferid Muchir)

La vie de ces maisons est centrée sur la famille et les activités domestiques. Leur architecture  dénote également une ouverture à la nature et à une existence saine : emploi de matériaux vernaculaires organiques comme le bois, la pierre de llose pour les toitures et le granit. Les jardins, souvent plantés de chardons bleus, de marguerites jaunes  et de sorbiers, établissent le  lien avec la nature environnante.

Parmi les réalisations les plus marquantes de cette période, on pourra notamment admirer :

La Villa Fondeville, avenue d’Espagne :

Noter la parfaite symétrie de la façade en granit ornée d’un grand bow window avec baie en demi-cintre de belles proportions. La tonalité de la façade est donnée par le rouge des volets en accordéon. Le pignon triangulaire ajoute de la verticalité à l’ensemble La balustrade au-dessus de la route est un ajout des années 50-60.

En remontant la rue des Écureuils : Villa Las Torres

Il est intéressant de rappeler que le terme « torre » (qui désigne ici les tourelles néo-médiévales) est utilisé pour décrire une résidence de villégiature, en Catalogne, au début du siècle (c’est l’équivalent de la maison de campagne, du landhaus allemand ou du cottage anglais).

Cette curiosité architecturale ne manque pas de séduire avec ses tourelles, sa marquise en llose, ses toits à pans verticaux et ses proportions très « cozy ».

Villa Las Torres, photo Marc Reynes

Remarquer aussi la jolie girouette :

Détail Villa Las Roccas, photo Marc Reynes

Juste à côté, sur la droite, la Villa Las Rocas (1930), rue des Écureuils.

Belle fenêtre hublot ornée d’un motif en ferronnerie, porte arrondie typique du style régionaliste avec élégantes ferronneries, girouette. Ici aussi, remarquable toiture en llose.

Détail Villa Las Roccas, photo Marc Reynes
On notera aussi les piliers en granit recouverts d’un petit toit en pierre de llose  qui n’est pas sans rappeler les clôtures traditionnelles des champs cerdans.
Détail Villa Las Roccas, photo Marc Reynes

Le jardin se fond harmonieusement dans la nature toute proche.

En poursuivant en direction du village d’Egat par la rue de la Tour des Maures, on pourra aussi admirer « Les Trois Chalets », belles réalisations des années 20, dotée chacune d’un cachet et d’un charme particulier.

L’Ancienne Gendarmerie, avenue d’Espagne

Construite en remplacement du poste de gendarmerie pour abriter la brigade territoriale de Font-Romeu.

Entrée de l’ancienne gendarmerie, photo Marc Reynes

A noter le portail d’entrée de style régionaliste néo-médiéval et la tour à toit conique qui associe pittoresque et fonctionnalisme (cette tour abritait des bureaux fort bien éclairés par la lumière naturelle). Le linteau de granit porte une inscription qui indique la fonction du bâtiment (« Gendarmerie Nationale »).

Les ouvertures qui donnent sur la cour au rez-de-chaussée sont celles des anciennes geôles.

On remarquera aussi les trous de ventilation fermés par des briques perforées servant à l’aération des greniers.

Ce bâtiment s’inscrit dans le style régionaliste de l’architecte perpignanais Edouard Mas Chancel, fervent partisan de l’emploi de matériaux régionaux (granit, brique, fer forgé, llose) qui enracinent la construction dans le sol et la culture catalane.

Au cœur de la station, dans la rue Maillol :

La Maison Cauchois :

Style régionaliste résolument marqué pour ce bel édifice. Noter la baie et la porte d’inspiration romane du rez-de-chaussée et leur encadrement en granit, l’organisation tripartite verticale et horizontale de la façade avec ses fenêtres géminées au premier étage surlignées par les trois ouvertures rectangulaires du second étage, les deux oculi et les magnifiques corbeaux en bois travaillé qui supportent l’avant-toit et se prolongent sur la façade voisine :

A côté, sur la gauche, le Patio Catalan et sa grande verrière-cage d’escalier. Remarquer également l’élément en ferronnerie au-dessus du toit.

Remarque : à bien des égards, l’architecture de ces maisons rappelle aussi les expérimentations du noucentisme (1911-31) catalan et sa recherche d’ordre, de symétrie et d’harmonie.

Villa La Tourelle (dont le premier propriétaire fut François Vassal, notaire à Perpignan), rue Henri Allard :

La Tourelle, avenue Dumayne : photo M. Reynes

La Tourelle, avenue Dumayne : photo M. Reynes

L’édifice, de structure en béton,  comporte une remarquable toiture à pans coupés. La tour ronde crénelée coiffée en poivrière, d’inspiration néo-médiévale, est ponctuée d’ouvertures à compositions géométriques.

En descendant la rue Allard, on pourra s’arrêter devant la Villa Cap Cerdan, édifiée par l’ingénieur et entrepreneur de travaux public Henri Allard (1894-1969), l’un des artisans de l’essor des sports d’hiver à Font-Romeu, sise dans la rue éponyme.

L’architecture de cette maison revisite le poncif  de la chaumière par l’emploi d’éléments typiques de la modernité :  belles jardinières art déco de la façade sud, bow window donnant sur l’arrière du jardin,  oculus, élégante pente des toits.

Les clôtures et garde-corps en faux-bois ciment sont un exemple du savoir-faire des artisans spécialisés dans le rusticage introduite en France par les ouvriers italiens. Très en vogue à la fin du XIXè siècle, cette technique confère un cachet exotique et romantique à la maison qui s’avance sur son promontoire, telle une vigie, pour dominer le plateau cerdan. On remarquera également le petit belvédère de l’autre côté de la route et le salon de jardin en ciment enchâssé dans le talus, directement derrière la clôture, sur l’avant de la maison. L’édifice est ceint d’un vaste parc où se côtoient harmonieusement blocs de granit et rocailles.

Cap Cerdan clôture en faux-bois. Photo M. Reynes

Plus haut, au 4 de l’avenue Dumayne, on s’arrêtera devant la grille du portail de la Villa Sainte Marie (construite ultérieurement), qui présente un bel exemple de travail de ferronnerie :

Villa Saint Marie, grille d’entrée, photo Marc Reynes

Enfin, au cœur de la station, au-dessus de l’Office du Tourisme, notons l’existence de la Villa Reynes (plus tard transformée en école publique et désormais connue sous le nom de « l’Ancienne École ») et sa belle architecture régionaliste moderniste d’inspiration romano-catalane.

A noter : les lignes très épurées des corbeaux du toit et des consoles du balcon à garde-corps en fer forgé, le grand  bow window à pans coupés évoquant le chevet d’une chapelle romane, la belle baie vitrée en trois parties, le fronton à toit coupé, la colonne d’angle typique des années 30 en haut de l’escalier. La structure en béton disparaît sous la pierre de granit ponctuée d’éléments en brique. L’ensemble dégage un effet de robustesse non dénuée d’élégance :


Villa Reynes, corbeaux au-dessus de l’entrée, photo Marc Reynes
Villa Reynes, entrée, photo Marc Reynes

Un autre édifice illustre brillamment les expérimentations du modernisme catalan : il s’agit de la gloriette de la Villa Thatos (aujourd’hui disparue) avec son toit de mosaïques bariolées. Cet édifice n’est pas accessible au public :

Gloriette de la Villa Thatos, photo Marc Reynes
Gloriette de la Villa Thatos, photo Marc Reynes

Intérieur du toit de la gloriette de la Villa Thatos, photo Marc Reynes

L’église du Christ-Roi 

La statue du Christ Roi (hauteur 7,30 m, 1954, marbre blanc de Carrare) a été réalisée par un artiste barcelonais Emilio Colom sur une commande de M. Doncel (barcelonais, Castel Negro). C’est une réplique du Christ Rédempteur du Corcovado, à Rio, réalisé dans les années 20 par Paul Landowski.

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On observe les lignes droites et régulières typiques de l’Art déco, le jeu des verticales et des horizontales, l’absence d’ornementation, de courbes ou d’arabesques (caractéristiques de l’Art nouveau),  la surface et la texture lisses et douces, et de manière plus générale l’apparence très épurée, voire schématique et idéalisante. L’œuvre invite au calme et à la spiritualité.

L’église en béton et verre, avec ces colonnes de soubassement apparentes, est très proche de l’esthétique « brutaliste » des années 50-70. Noter par contraste la douceur des courbes du toit. Cette architecture se marrie parfaitement avec le style Art déco de la statue.

Autres exemples de réalisation architecturales intéressantes dans Font-

  • Hôtel Régina (années 30) : construit à l’emplacement du chalet-baraquement construit pour loger les ouvriers de l’entreprise Allard, il est tenu par Marguerite Ribeill-Reynes qui fera construire au même endroit l’actuel Hôtel Regina.  Noter notamment l’originale rambarde « style paquebot ».
  • Hôtel Pyrénées : structure en béton et parement de granit pour ce bel édifice de 1930, de style « chalet international »
  • A côté : la Villa Hélios : observer le rythme des ouvertures et le verre soufflé des fenêtres. L’escalier métallique à gauche de la maison mène à une propriété privée, merci de ne pas l’emprunter.
  • Au 100 avenue Maréchal Joffre : une villa construite pour M. Gracy avec loggia italianisante, oculus, baies géométriques et balcons à balustres.  De cette villa dépendait également une construction plus modeste mais de belle facture, « Le Petit Coloma » (aujourd’hui disparue) qui servait de maison de gardien.
Villa Gracy, avenue Maréchal Joffre

  • Villa La Tierruca avec sa remarquable toiture à pans coupés :

  • Chalet 1700 (porte de style régionaliste, bow window et corbeaux, belle façade et structure entièrement en granit) :
Chalet 1700, photo Marc Reynes

(Remerciements à Philippe Latger, président de Perpignan Art Déco pour les indications fournies lors de sa visite guidée).

La fin des années 30 :

Le Casino :

Construit sur des plans dressés le 19 juillet 1936 par l’architecte perpignanais Edouard Mas Chancel, tête de file du modernisme régionaliste.

Casino de font-Romeu. Photo : Creative Commons

Dans un article du quotidien L’Indépendant (décembre 1938), on pouvait lire:

« … [la] ligne [est] grandiose mais simple. Les matériaux du pays y prennent une large place : de magnifiques blocs de granit bleu, taillés à la masse et au poinçon, posés en arc de plein cintre, ou arcs surbaissés, donnent au bâtiment une allure imposante, massive et solide »

L’édifice compte alors 2 terrasses plein sud. Deux échauguettes en brique crénelées flanquent les angles du bâtiment.

Il est bâti avec des matériaux vernaculaires, grâce au savoir-faire des artisans locaux (ce trait est aussi la « marque de fabrique » de mas Chancel):

  • ardoises gris-bleu de Vallcebollère
  • brique rouge de Concellabra (Sainte Léocadie)
  • granit bleu d’Egat
  • marbre blanc des cheminées du Cambre d’Aze

7 réflexions sur « Des « chalets d’Odeillo » aux villas de l’entre-deux-guerres »

  1. Bonjour,

    merci pour toutes ces informations très interessantes.
    Puis-je vous signaler une erreur : pour illustrer la villa « La Tourelle », il y deux photos. La première n’est pas de la Tourelle mais de la gendarmerie.

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