Le Grand Hôtel de Font-Romeu

Le contexte et les figures pionnières

Édifice emblématique de la station, le Grand Hôtel a été édifié sur une idée d’Albert Lafargue, natif de Perpignan, professeur de mathématiques au lycée Condorcet (Paris), qui s’adjoint le concours du journaliste et homme politique  Emmanuel Brousse (1866-1926, conseiller général et député des Pyrénées-Orientales) pour lancer un palace (hôtel et casino) en altitude, à Font-Romeu.

Rôle de l’électrification de la ligne ferroviaire

Dans le même temps, la ligne ferroviaire du Train Jaune est électrifiée.

La mise en service d’un nouveau tronçon de ligne desservi par les trains électriques de la Compagnie des chemins de fer du Midi (la ligne Perpignan-Villefranche-de-Conflent date de 1895) est inaugurée les 28 et 29 juillet 1913. A cette occasion, une excursion est organisée au départ de Paris-Orsay le 27 juillet. Le lendemain, les voyageurs ayant embarqué à Villefranche arrivent à Odeillo à 12h.  Suivent un déjeuner déjeuner au Grand-Hôtel et une excursion automobile au lac des Bouillouses.

Font-Romeu est, par ailleurs, reconnue station climatique dès 1912.

Avant le Grand Hôtel : les « Chalets d’Odeillo »

Le Grand Hôtel n’est toutefois pas le premier bâtiment édifié à Font-Romeu. Dès 1903, des propriétaires aisés (industriels, horticulteurs, négociants, pharmacien, directeurs d’école) de Perpignan, Montpellier, Barcelone et Arcachon font bâtir des maisons individuelles (appelées les « Chalets d’Odeillo ») à l’architecture variée. En 1910, ils fondent un « Syndicat d’initiative des Chalets d’Odeillo » qui a pour vocation de faire connaître la nouvelle station climatique de Font-Romeu.

Voir article dédié sur ce blog :  Des Chalets d’Odeillo aux villas de l’entre-deux-guerres

C’est en effet à cette époque que débute l’engouement pour les sports de montagne, ainsi que le tourisme et la villégiature en altitude. C’est également celle des cures en altitude et de l’héliothérapie pour les malades souffrant de la tuberculose.

Voir, sur ce site, l’article dédié :  Climatisme et Architecture

La plupart des constructions témoignant des débuts de la station ont aujourd’hui disparu. Nous en donnons une liste non-exhaustive dans l’article « Des ‘Chalets’ d’Odeillo » aux villas de l’entre-deux-guerres ».

La construction du Grand Hôtel

Elle est confiée à Louis Trinquesse et Henri Martin, architectes à Paris. La construction est assurée par l’entreprise Badie de Perpignan.

La première pierre est posée le 28 août 1910.

Le bâtiment est mis en activité en juillet 1913. Une campagne d’affiches (rééditée par l’Office de Tourisme) assure la diffusion publicitaire.

Son premier directeur est Fernand Bouyonnet.

Le Grand Hôtel en un coup d’œil :

  • 150 mètres de long
  • 365 ouvertures alignées sur 7 niveaux
  • 200 chambres, dont 130 avec cabinet de toilette, eau chaude et froide, baignoire et WC
  • un vaste hall
  • salle à manger décorée par Auguste Guénot
  • salle des fêtes (1920)
  • casino
  • grande terrasse
  • parc boisé
  • jeu de croquet
  • courts de tennis
  • patinoire
  • piste de bob
  • golf
  • voitures de louage
  • garage et atelier de réparation
  • éclairage à l’électricité
  • chauffage à la vapeur basse pression
  • bureau de poste
  • poste de télégraphie sans fil (TSF), 1920

 

Font-Romeu, le Grand Hôtel, Alexis Croly-Labourdette. Collections stéréoscopiques de la CLEM. Source : Isodore. Vue de la façade ouest avec parterre et pièce d’eau.

Les façades et toitures, la cage d’escalier et ses éléments de décor, y compris les torchères de la terrasse figurent sur la liste des Monuments Historiques par arrêté du 30 mai 1988.

Grand Hôtel, poste TSF (1920), photo Marc Reynes

Soulignons encore une fois le rôle des transports dans la réussite de cette aventure commerciale :

  • En 1914, un rapide de luxe (le train 7005) reliant Paris-Austerlitz à Barcelone, met Paris à 13h de Perpignan. Voir horaires ici.
  • A l’été 1914, la Compagnie du Midi a prévu de lancer son nouveau « service automobile » de la « Route des Pyrénées » qui propose, à partir du 25 juin et pendant toute la saison d’été, une excursion de 6 jours en « auto-cars » Biarritz-Cerbère ou Cerbère-Biarritz avec une halte (dîner et coucher) à Font-Romeu.
  • La  Compagnie du Midi envisage également de proposer deux excursions hebdomadaire au départ de Font-Romeu : le lac des Bouillouses et les Gorges de l’Aude et Quillan.
Source Gallica

Toutefois, les plaisirs de ces excursions devrai être remis à plus tard :  à la  déclaration de guerre, le palace doit fermer ses portes.

Il ne les rouvrira que le 16 juin 1918.

Une réouverture en musique

Le 18 août 1918, un concert de charité au bénéfice des anciens soldats est organisé dans les salons du Grand Hôtel. On donne à cette occasion l’œuvre de Déodat de SéveracEn Cerdagne (voir l’article dédié, sur ce site) :

« Un splendide concert — le plus beau, certainement, qu’aient jamais entendu nos lointaines, Cerdagnes ! » — réunissait, il y a quelques jours, dans les salons du Grand Hôtel, autour d’une pléiade exceptionnelle d’artistes, la foule élégante et enthousiasmée de notre somptueuse station pyrénéenne. Profitant de son séjour à l’Ermitage, notre directeur Albert Bausil, avait eu l’excellente idée d’appeler auprès de lui, pour leur en faire goûter les charmes, ses amis Déodat de Séverac, Charpentier, de l’Opéra, et la grande pianiste Bianca Selva. Sitôt connue la présence de ce trio, la direction du Grand Hôtel demandait son concours pour une audition de bienfaisance, au bénéfice des rapatriés (d’Odeillo) et des œuvres patriotiques de guerre […].

Le programme indique la qualité de ce concert et des œuvres qu’on y interpréta. Ce que nous voudrions pouvoir traduire d’une façon particulière, c’est l’émotion suscitée par Blanca Selva, lorsqu’elle anima de sa puissante sensibilité évocatrice et de son magnifique talent les belles fresques musicales de Déodat de Séverac « En Cerdagne » dans le cadre qui les inspira. […]

Dans l’assistance, Prince de Bourbon-Bragance, comte Robert de Montesquiou-Ferensac, prince et princesse Amédée de Broglie, générale Roques et sa fille, failles Gès, Matry, Garré, de Barcelona, de Lacroix, Sicart, Vassal, de Perpinya… »

Le Coq catalan, 7/09/1918)

L’âge d’or du palace

Pendant l’entre-deux-guerres, une clientèle internationale d’aristocrates et de grands bourgeois se presse à Font-Romeu.

Cette clientèle très fortunée est servie par une foule d’employés (la liste compte 83 noms en 1931) dont certains fonderont par la suite leur propre entreprise ou commerce dans la station.

C’est l’âge d’or du Grand Hôtel.

Dans un article du Gaulois : littéraire et politique, on pouvait lire à la date du 18 janvier 1929 :

« […]

De l’hiver, qui y est presque toujours humide, Paris ne connaît guère que les désagréments.

Comme on comprend, dès lors, que les Parisiens qui en ont la liberté et les moyens aillent, entre le 15 décembre et le 15 février, demander aux Pyrénées et aux Alpes les saines joies de la vie sportive, dans la neige abondante et au froid vif. Font-Romeu et Superbagnères d’une part, le Mont-Revart, Villard-de-Lans, Méjève et Chamonix, d’autre part pour ne citer que les centres principaux se partagent ainsi une foule, chaque année plus nombreuse, de fervents du patin, du ski, du bob ou de la luge. Car c’est un plaisir de constater que nos stations d’hiver se sont organisées, petit à petit, il est vrai, sur le modèle des centres les plus réputés de la Suisse qu’elles parviennent maintenant à concurrencer victorieusement. Non seulement nos nationaux renoncent désormais à franchir la frontière pour aller faire des sports d’hiver, mais les Anglais, et les autres étrangers fréquentent de plus en plus nos montagnes. C’est un signe dont nous devons nous réjouir grandement. […]

Georges Droulily, « La Vie qui passe »,  Le Gaulois, 18/01/1929

Au plan architectural :

Si l’édifice frappe par sa monumentalité, il est également étonnant de légèreté et d’élégance, et semble naviguer, tel un paquebot transatlantique, sur le ciel et la forêt environnante. L’effet visuel produit est double : le bâtiment invite tout à la fois à l’enracinement et au voyage.

Par ses matériaux (tout le gros œuvre a été réalisé en granit et le toit est en llose), l’édifice s’ancre dans le sol et le savoir-faire des artisans de Cerdagne. On pourra aussi noter les tonalités vernaculaires de la façade (rappelant le rouge et le jaune du drapeau catalan).

On sera peut-être aussi sensible à la texture de la construction : à l’aspect rugueux du granit répondent la surface lisse des décors et  celle,  granuleuse,  des linteaux des fenêtres.

L’influence Art déco (1910-années 30) se lit tout particulièrement dans les formes simples et très lisibles, et les rythmes réguliers de la façade.

Façade Grand Hôtel. Source Gallica

Voir également la décoration des jardinières de la terrasse au décor de lignes et de petits carreaux bleus et celles  de l’ancienne patinoire :

Jardinière, ancienne patinoire du Grand Hôtel. Photo M. Reynes
Photo : M. Reynes

Ou encore le décor spiralé des lanternes d’angle:

Photo : Marc Reynes

Toutefois, on notera également les belles mosaïques Art nouveau (1886-1914) de la façade.

Autre détail remarquable : les magnifiques torchères de la terrasse sont inscrites sur la liste des Monuments Historiques (Arrêté du 30/05/1988)

Photo : M. Reynes

Détail amusant : le mascaron placé sur la clé d’arc de la porte principale, au milieu de la façade sud, est une chinoiserie surmontée d’un élément dorique:

Photo : M. Reynes

D’autres éléments plus antiquisants évoquent le style Beaux-Arts : voir les pilastres des balcons ou encore ces structures d’aspect néo-égyptien :

Photo : M. Reynes

En levant la tête, on observera aussi la ligne découpée de la corniche du toit de l’ancienne salle de restaurant : les angles saillants contrastent fortement avec les arrondis des baies et des balustrades.

Photo : M. Reynes
Photo : M. Reynes

L’œil est ainsi stimulé par des lignes qui semblent annoncer les Années Folles toutes proches, âge d’or  des rythmes syncopés des jazz bands qui accompagnait les bals donnés dans la salle des fêtes : musique, architecture, divertissements, tout concourt à rendre l’expérience du client de l’hôtel aussi agréable que ludique.

En se postant sur la pelouse qui borde le côté ouest de l’édifice, on observera enfin l’avancée sur la façade de l’ancienne salle restaurant avec ses trois grandes baies en plein cintre monumentales. Remarque : à cet endroit, on a ajouté postérieurement une piscine avec plongeoir, aujourd’hui remblayée.

Références bibliographiques :

« Tracé de la route des Pyrénées », L’Illustration, No. 3673, 19 Juillet 1913. Gutenberg.

Journal des transports, 37è année, no. 3, 17 janvier 1914, p. 28-30.  Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France.

Le Coq catalan, 7 septembre 1918, p. 2 (cité dans Font-Romeu, Odeillo, Via… Fa Temps, opus cité, p. 73).

Georges Droulily, La « Vie qui passe », Le Gaulois : littéraire et politique, 18/01/1929. En ligne sur Gallica, Bibliothèque nationale de France.

Thierry Lochard et Isabelle Pagniez, « L’architecture privée à Perpignan, 1900-0950 : de l’esthétique Beaux-Arts au pittoresque moderne », In Situ 6 / 2005. En ligne.

Jean-Marie Rosenstein, Font-Romeu, Odeillo, Via… Fa Temps, Centre d’études catalanes, Université de Perpignan, Terra Nostra, 2009. ISSN 1243-2032.

Jean-Louis Demelin, « De 1900 à 2000, comment un petit village de Haute Cerdagne est devenue l’une des plus grandes stations des Pyrénées », 20 juin 2012. En ligne.

Jean-Marie Rosenstein, conférence, « Les Années Folles au Grand Hôtel », Journées Art Déco de FOnt-Romeu, 27-28 jullet 2018.

Conférence " Les Années Folles au Grand Hôtel " par Jean-Marie Rosenstein

Une réflexion sur « Le Grand Hôtel de Font-Romeu »

  1. j’essaie de retrouver des traces du Home d’Enfants Azuréa, ainsi que de sa directrice, Madame Alb. J’y étais les étés 1962, 1963 et 1964, ainsi qu’à Pâques 1969. Les histoires de Font Romeu ne mentionnent pas cet établissement, qui se situait à la sortie de la ville vers Odeillo et la vallée.

    Jean-Marie Lepaon, professeur retraité, le 3 février 2022

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